Introduction
On entend régulièrement que certains pays « censurent Internet ». Le terme fait peur, il évoque un réseau coupé, des contenus effacés, une liberté supprimée.
Mais est-ce seulement possible sur le plan technique ? Internet a été conçu dès son origine comme un réseau décentralisé, pensé pour résister aux coupures, aux pannes et même à la guerre.
En réalité, ce que l’on appelle « censure d’Internet » n’est pas une censure du réseau lui-même, mais un contrôle de l’accès à certaines ressources. Et même là, ces tentatives sont rarement efficaces à long terme.
Censure vs. limitation d’accès
Il faut distinguer deux notions :
- Censure totale : l’information n’existe plus, elle est supprimée à la source.
- Limitation d’accès : l’information existe toujours, mais l’utilisateur est empêché d’y accéder par des barrières techniques.
👉 Sur Internet, seule la seconde est possible. On ne peut pas « effacer » une page du web mondial. Au mieux, on peut empêcher un internaute d’y accéder depuis un point donné du réseau.
Comment les États tentent de contrôler Internet
Plusieurs techniques existent :
- Blocage DNS : rediriger ou neutraliser les requêtes de résolution de nom (par ex. empêcher
discord.com
de répondre). - Blocage IP ou filtrage BGP : couper l’accès à certaines adresses ou détourner le routage.
- Inspection profonde des paquets (DPI) : analyser le trafic en détail pour bloquer des protocoles ou services.
- Coupures massives : désactiver des réseaux mobiles ou des câbles sous-marins (ex. Égypte 2011).
Toutes ces méthodes ont en commun une chose : elles agissent au niveau national, pas sur Internet dans son ensemble.
Exemple : la censure ratée de Discord en Russie
En 2017, la Russie a tenté de bloquer Discord, l’application de messagerie prisée par les communautés de joueurs.
Le blocage a été mis en place via des restrictions d’adresses IP et des filtrages DNS. Mais le résultat a été… un échec.
Les utilisateurs russes ont très vite trouvé des moyens de contournement : VPN, proxies, et même de simples changements de DNS publics (comme ceux de Google ou Cloudflare).
Au bout de quelques mois, la mesure a été abandonnée, car elle était devenue inefficace et impopulaire.
Cet épisode illustre bien la réalité : empêcher l’accès à une plateforme est temporaire, et la résilience des utilisateurs finit toujours par gagner.
Les moyens de contournement
Internet étant conçu comme un réseau résilient et distribué, chaque tentative de blocage trouve rapidement une parade. Parmi les plus utilisées :
1. Les VPN (Virtual Private Network)
Les VPN chiffrent la connexion et la redirigent via un serveur situé dans un autre pays.
- Ils contournent les blocages DNS et IP.
- Ils rendent difficile l’analyse du trafic (DPI).
- Leur usage est devenu massif dans les pays soumis à des restrictions (Russie, Turquie, Iran).
2. Le réseau Tor
Tor (« The Onion Router ») repose sur un routage en couches chiffrées.
- Permet d’accéder à Internet de manière anonyme.
- Contourne la plupart des filtrages nationaux.
- Souvent ciblé par les États… mais il continue de fonctionner grâce à ses nœuds relais cachés.
3. Les DNS publics et chiffrés
Changer de serveur DNS (Google, Cloudflare, Quad9…) permet de contourner les blocages locaux.
- Avec DoH (DNS over HTTPS) ou DoT (DNS over TLS), même l’opérateur ne peut plus filtrer les requêtes de noms de domaine.
4. Les proxies et tunnels
Des serveurs intermédiaires ou des outils comme SSH tunneling permettent de rediriger le trafic et de masquer son origine.
- Moins sécurisés qu’un VPN, mais rapides à mettre en place.
5. Les réseaux alternatifs
En cas de coupure totale, des solutions émergent :
- Internet par satellite (ex. Starlink en Ukraine).
- Réseaux mesh (maillage local via Wi-Fi/Bluetooth).
- Radio amateur et SMS-gateways pour transmettre de petits volumes d’informations.
Les limites de la censure technique
- Les contournements sont accessibles même à des utilisateurs non experts.
- Plus un pays tente de bloquer, plus sa population apprend à contourner.
- La censure a souvent des effets de bord : coupures de services tiers, ralentissements, mécontentement social.
En pratique, aucune barrière technique n’est durable : tôt ou tard, un chemin de traverse apparaît.
Les rares cas de contrôle quasi-total
Il existe toutefois quelques exceptions :
- Chine : le « Grand Firewall » contrôle les backbones et surveille l’ensemble des flux.
- Corée du Nord : Internet est inaccessible à la majorité de la population, remplacé par un intranet national.
- Iran : des coupures massives sont régulièrement imposées lors de crises politiques.
Ces cas restent rares, car ils nécessitent une centralisation complète des infrastructures nationales. La plupart des pays n’ont pas cette architecture.
Conclusion
Peut-on censurer Internet ? Non.
On peut limiter l’accès à certaines parties du réseau, parfois de manière sévère, mais le réseau lui-même échappe à toute censure globale.
Les tentatives de blocage montrent toujours la même chose : dès qu’un utilisateur a le moindre accès, il a aussi les moyens de contourner.
Internet, par sa conception, reste un espace résilient — et cela explique pourquoi la « censure » dont on parle souvent n’est, au fond, qu’un contrôle partiel et temporaire.